Razzia un film puissant et intelligent. À travers ce film, le réalisateur et scénariste traite de l’évolution et des bouleversements des sociétés. La réalisation, le jeu d’acteur et la photographie ainsi que le scénario sont particulièrement réussis. Nous avons eu la chance, dans notre bout du monde alpin, à Briançon le 27 octobre 2017 au cinéma l’Eden, de pouvoir assister à une projection en avant-première du film…plusieurs mois avant sa sortie officielle le14 mars 2018.

Projection en avant première du Film Razzia de Nabil Ayouch

razzia

Le scénario de Nabil Ayouch et Maryam Touzani

Razzia est donc un film relatant la vie de cinq personnages n’ayant presque rien à voir les uns avec les autres. Un tiraillement entre des envies de liberté et la pression constante du traditionnalisme et de l’intégrisme.

  • Un instituteur berbère, amateur de poésie, à qui l’on impose de modifier ses enseignements…. avec peut-être des conséquences des décennies plus tard sur le destin des 4 autres personnages...
  • Une jeune femme casablancaise dont le compagnon ne peut se retenir d’essayer de l’empêcher de vouloir vivre à l’occidentale….
  • Un jeune musicien qui rêve de devenir célèbre...
  • Une adolescente des beaux quartiers, délaissée...
  • Un restaurateur séfarade, le regard pétillant, balançant entre fougue et fatalisme…

La réalisation

De nombreux gros plans viennent souligner la puissance et l’imbroglio des sentiments ressentis par les personnages. Des images réalisées à l’épaule augmentent encore la tension présente dans le film. L’éclairage et la photographie sont superbement réalisés. Certains plans, réalisés avec des effets de faible profondeur de champ et de bokeh, « esthétisent », américanisent le film… Des images dans le Haut Atlas faites à partir de drones donnent l’impression de survoler la situation, d’avoir du recul.
Les acteurs interprètent magnifiquement leur rôle. On pense, entre autre, au chant a cappella d’Abdelilah Rachid, à la jeune « auto-stoppeuse » ou à la veille dame à la cigarette... Le spectateur, conscient de l’environnement, ne peut qu’être admiratif face à tant d’engagement, de courage. On imagine les risques, concrets, physiques, familiaux que prennent aussi bien les acteurs que les différents intervenants du film.

Bande annonce du film


https://youtu.be/xVILMzsqu4Y

Les traditions et le repli ou le grand plongeon dans le village global

Le Royaume chérifien, grand pays, ouvert aussi bien vers l’Europe par le détroit de Gibraltar et sa façade méditerranéenne mais aussi vers le reste du monde avec sa façade atlantique, ponctuée par la ville de Casablanca, ou encore vers l’Afrique et le Sahel à travers sa frontière sud semble être suffisamment fort, pour que certains de ses enfants soient capables de tourner ce genre de film, sur place. La production étant Franco-Belge sauf erreur de notre part.
Un écueil serait de ne voir ce film que comme une alerte sur les risques de naufrage, de basculement dans le fondamentalisme, de la société marocaine. Il est aussi possible, positivement d’y voir beaucoup d’espoir, de courage de toute une partie de la population, de la jeunesse et des femmes en particulier.

Les corps, la liberté d’être soi, de penser et de s’exprimer se trouvent confrontés au diktat de la société, des entourages. Une inévitable schizophrénie s’empare de beaucoup, un grand écart entre un certain passé et l’accélération vertigineuse de l’histoire, et pas seulement en terre d’islam.

On ne peut s’empêcher de penser au livre de Yuval Noha Harari « Sapiens , une brève histoire de l’humanité » et la partie concernant la tendance historique à « l’unification des cultures » (révolution scientifique, des communications, des déplacements) et les résistances que cela suscite. Cette peur, régressive diront certains, d’être avalé par « le village et la culture globale », selon l’expression consacrée.
Un politicien, candidat à la présidence d’un parti politique français de premier plan (Laurent Wauquiez en l’occurence) exprima cela en une phrase, le 25 octobre 2017  : «...je préfère ce vieux pays émouvant au triste village global qui n’est que la vitrine déshumanisée d’un monde sans racine qui n’a de cesse de vouloir faire de nous les citoyens connectés d’une utopie mondialisée...».
Ce que l’éditorialiste politique Alain Duhamel, réputé de centre droit, commenta quelques jours plus tard en trois mots : « cynique, opportuniste et efficace ».

Cette bataille n’est donc pas uniquement marocaine ou maghrébine, comme cela pourrait en arranger certains. Le rapport au sexe, difficile au Maghreb, lire à ce sujet Mohamed Choukri, Tahar Ben Jelloun ou Leyla Slimani, n’est pas « neutre », ni serein, en occident non plus, comme en atteste les trop nombreux cas de pédophilie dans l’église catholique ou les problèmes de harcèlement sexuels, heureusement de plus en plus souvent mis en lumières (#…). -->
Les envies de repli sur soi sont à vrai dire largement partagées en tout point de la planète, Razzia courageusement met en lumière ce sujet même si la situation des femmes et des minorités n’est pas, bien sûr, partout comparable.
La société française est-elle capable « d’autoanalyse » avec autant de clairvoyance ? Les fondamentalismes et populismes variés en France ne sont pas aussi puissants qu’au Maghreb mais ils se développent à vitesse grand V. On ne peut, bien sûr, pas comparer l’emprise des fondamentalistes catholiques du type Sens Commun et autres à l’emprise des fondamentaliste marocains.

Le Maroc ne se résume bien sûr pas à cette tension, le pays connaît un développement économique qui a permis à de larges pans de la société de vivre mieux et d’accéder à l’éducation. La royauté ayant réussi à contenir les poussées extrémistes, depuis de très nombreuses années, mieux que dans le reste du Maghreb...

Le film nous entraîne dans des tranches de vie mouvementées. Aucune longueur, probablement car il met en scène des individus fougueux, jeunes, combatifs, parfois excessifs et violents, que rien ne semble vouloir arrêter.

Un grand film en route vers les Oscars

Ce film nous a conquis par sa force, son courage et sa qualité cinématographique. La réalisation est d’une certaine manière hollywoodienne : sexe, violence, suspense, soins de la photographie et des cadrages, scénario efficace etc...mais c’est aussi un film de combat pour une société plus libre, plus ouverte, plus tolérante. Un cinéma décidé à ne pas laisser avancer l’obscurantisme d’un pouce. Nous sommes persuadés qu’il connaîtra un grand succès, peut-être aux Oscars, car il a été choisi pour concourir à la présélection des Oscars 2018, dans la section "Meilleur film étranger".

Liens

Interview de Nabil Ayouch et Maryam Touzani

https://youtu.be/Typ6ibFO_SI